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Quand vieillir est un honneur : l’exemple d’une société d’Afrique de l’est

par Nina Roger

Le 20 mai 2021

3 min de lecture

Quand vieillir est un honneur : l’exemple d’une société d’Afrique de l’est

Y-a-t’il un point commun entre un vieil homme de la Préhistoire, du Moyen-âge et de 2021 ? Ou entre une vieille femme vivant à Paris, sur les pentes du mont Kenya et sur l’île Okushiri au Japon ? S’ils sont vieux, c’est qu’ils ne sont plus jeunes, ce qui constitue un caractère commun à tous. Néanmoins, cette lapalissade en guise de réponse montre bien qu’il n’est pas aussi facile qu’on peut le penser de caractériser la vieillesse.

Pourquoi ? Parce que la vieillesse n’est pas un état universel qui existerait en soi indépendamment des époques et des régions du monde. Chaque culture va élaborer sa propre compréhension de l’existence, de l’avancée en âge, et donc de la vieillesse. Certes le vieillissement est un processus naturel, mais la façon de considérer les plus âgés dans une société et le regard que l’on porte sur la vieillesse dépendent de la culture considérée.

Regarder ailleurs ce qui se passe est alors un bon moyen de relativiser nos pensées les plus évidentes ! Voici à suivre un petit voyage interculturel chez les Meru Tingania-Igembe du Kenya rencontrés par l’ethnologue Anne-Marie Peatrik à la fin des années 1980.

 

Le sens donné à la vie détermine en partie la raison d’être de la vieillesse.

Dans la culture française et plus largement occidentale, on a tendance à considérer la vie sous la forme d’une courbe développementale. Le petit être qui naît accumule les apprentissages pour parfaire son développement au cours du jeune âge. Il devient ensuite en pleine possession de ses moyens au mitan de sa vie, avec un équilibre jugé idéal entre les capacités physiologiques et les acquis d’expériences. Puis la balance penche avec les années. Commence alors la phase de déclin progressif jusqu’au stade ultime du grand âge caractérisé non seulement par la perte des capacités physiques et mentales, mais aussi par l’absence totale de développement personnel.

Chez les Meru, il en va tout autrement. Le développement humain est considéré comme continu, quasiment jusqu’à la mort. Pas de mitan ou de phase déclinante chez eux, les individus poursuivent leur maturation de stade en stade, de rôle social en rôle social, au gré des rites de passage. Cette vision développementale offre alors une toute autre approche de la vieillesse. Passé 65 ans chez les Meru, ce n’est pas le début de la fin, au contraire, c’est atteindre l’apogée du développement humain.

 

Vers 65 ans, les Meru accèdent à la classe sociale des Accomplis.

Chez les Meru, être vieux est un accomplissement à double titre. Tout d’abord, parce que cela signifie qu’on a réussi à surmonter toutes les étapes et les épreuves de l'existence, ce qui en soi n’est pas donné à tout le monde. On note là-aussi une différence notoire avec nos cultures occidentales.

« Ce qui, chez nous, est interprété en termes d’usure – ne dit-on pas d’un individu qu’il est usé par l’existence – est là-bas interprété en termes de réussite dans la carrière de l’individu » (A.M. Peatrik : 160)

Ensuite, parce que cela signifie que l’on possède les plus hautes capacités qui sont celles du verbe et de l’esprit, grâce auxquelles l’Accompli accède à la responsabilité des affaires religieuses et des rites de passage. Son rôle d’initiateur en fait un membre extrêmement important dans le groupe.

 

Vieillir est un honneur et ouvre droit aussi à des privilèges.

Dans cette société à la structuration sociale très rigide, ce n’est qu’une fois atteint cette étape de la vie que l’on peut s’affranchir de certaines règles et profiter de certaines pratiques jusque-là interdites comme la consommation de plantes amphétamines. Comme quoi, l'émancipation et la liberté ne sont pas forcément le propre de la jeunesse.

Chez les Meru, ce sont même des attributs de la vieillesse, là où dans la société française, on aurait plutôt tendance à les situer du côté de la jeunesse. Néanmoins, les choses changent. Les modes de vie et les représentations sont en train d’évoluer fortement sous l’effet conjoint de l’allongement de l’espérance de vie sans incapacité, de l’indépendance économique des retraités et de l’arrivée d’une nouvelle génération de seniors porteurs d’une culture plus libertaire.

 

Tout cela tend bien à relativiser notre vision des âges.

La notion même d’âge n’est pas universelle. L’âge biologique - entendu comme une donnée objective et individuelle - n’existe pas chez les Meru. La société est organisée en classes générationnelles. On n’a pas 20 ans chez les Meru, on appartient à la classe des guerriers si on est un homme. L’avancée en âge consiste à changer de classe générationnelle, ce qui se fait à l’occasion de grands rites de passage. Mais contrairement à nos coutumes, le changement d’âge se fait collectivement dans la société Meru. Tous les individus d’une même classe générationnelle accèdent au stade suivant en même temps et de manière coordonnée avec les autres classes générationnelles.

 


Bibliographie :

  • Peatrik, A.-M. (2001). Vieillir ailleurs et ici : l’exemple des Meru du Kenya. Retraite et société, 34(3) : 151-165.
  • Peatrik, A.-M. (1990). Génération Meru : modes d’emploi une enquête sur les implications écologiques d’un système générationnel Bantou (Meru Tigania-Igembe, Kenya). Thèse de Doctorat en ethnologie. Université de Paris X Nanterre.
     

 

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