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Portrait

Portrait d’un aidant anonyme

par Véronique Cayado

Docteure en psychologie, membre de l'Institut Oui Care

Le 9 juin 2021

4 min de lecture

Portrait d’un aidant anonyme

L’histoire commence comme beaucoup d’autres histoires. Deux jeunes septuagénaires en couple depuis toujours, le monsieur est à la retraite depuis une dizaine d’années quand sa femme se met subitement à tomber à plusieurs reprises. Des chutes alors sans gravité, elle se révèle toute seule. Ce sont les premiers symptômes… La chose se répète, mais la vie poursuit son cours normalement. Ils voyagent pas mal. Ils adorent ça !

L’annonce

Puis au bout de deux ans, les symptômes s’intensifient. Le couple se décide alors à consulter un médecin, puis c’est l’examen dans un hôpital neurologique et les résultats qui tombent : c’est Parkinson !
Pour le mari, ce n’est pas vraiment une surprise. Il s’était déjà renseigné sur Internet et avait compris avant que le diagnostic ne soit posé. Ce qui change, c’est que maintenant il en est certain. Pour autant, cela ne bouleverse pas leur vie. Ils continuent de voyager, même à l’étranger.
Puis le voyage se complique, la maladie marque sa présence. Il faut faire avec elle désormais. C’est comme ça, ils s’adaptent. Le monsieur demande un fauteuil roulant et un accompagnement spécifique pour sa femme dans l’avion.

La chute qui change tout

Puis arrive le point de rupture, la chute grave, avec fracture cette fois. S'enchaînent la clinique de rééducation et le kiné tous les jours à domicile. Mais sa femme ne remarchera plus. Elle a alors 77 ans. Pas question de se laisser aller pour autant, la vie continue, il faut faire avec et faire au mieux. Le monsieur fabrique des agrès spéciaux et achète du matériel pour que sa femme puisse faire des exercices physiques adaptés. Cela dure un certain temps, mais pas facile pour elle de tenir la motivation dans la durée.

Depuis, il est son “proche aidant” comme on dit. Elle ne marche plus, ne parle plus, mais elle comprend tout ce qu’on lui dit. C’est lui qui lui prépare ses repas, très mixés. Il fait tout en somme ou presque... Une auxiliaire de vie passe le matin et le soir, une infirmière le midi et un kiné deux fois par semaine.

Donner sens à son expérience d’aidance

Cette histoire qui commence comme beaucoup d’autres histoires, elle n’est pourtant pas commune. C’est une histoire, en fait, tout à fait singulière car les protagonistes sont ce qu’ils sont, des êtres singuliers, au parcours singulier, qui évoluent avec leur propre subjectivité dans un univers lui aussi particulier. Ce monsieur, nous l’avons rencontré en janvier 2020, il avait alors 82 ans. Nous lui avons demandé de nous parler de son expérience de proche aidant. Ce qu’il nous a partagé avec une extrême générosité, c’est la manière dont il donnait sens à cette expérience d’aidance. Aucune amertume par rapport à la tournure prise par l’existence, c’est comme ça, “la vie, elle est faite de haut et de bas”, “il faut l’accepter et s’adapter”, “prendre la vie comme elle vient” et “vivre au jour le jour”.

Faut faire avec” comme il le dit si bien, ce n’est pas de la résignation défaitiste. C’est au contraire une manière d’approcher la vie en encaissant les chocs, mais sans la subir pour autant. C’est comme si cette philosophie de vie était une manière de reprendre possession sur l’inéluctable pour lequel nous n'avons pas de prise. Cette manière de prendre les chocs de l’existence, ce n’est pas nouveau pour lui. Au contraire, c’est ce qu’il a toujours fait. Cela fait partie de lui, comme une seconde peau !

Un capacité de résilience acquise

Cette manière d’appréhender la vie, il la relie spontanément au décès de à son fils, mort sur le coup renversé par une voiture à l’âge de 18 ans. Face à l'inacceptable, tout le monde réagit comme il peut pour vivre avec le trauma. Pour lui cela a signifié faire face : “faut réagir”, “faut pas se laisser aller”, “se lamenter sur son sort en cherchant des responsables”.
De son enfance avec les restrictions d'après-guerre à la crise sanitaire actuelle, tout le ramène à cette manière d’être dans la vie. “On s’habitue à tout”, c’est dans notre nature. Après tout, notre corps est capable de s’adapter à des écarts de températures impressionnants, c’est pareil pour les évènements de vie plus difficiles. Il ne dit pas que c’est facile, mais c’est comme ça qu’il avance, qu’il va de l’avant.
C’est avec le même esprit qu’il aborde les changements de son temps. Les nouvelles technologies, loin de lui évoquer un sentiment d'étrangeté, il les a intégrées à son périmètre il y a bien longtemps dans sa vie professionnelle. Toujours pareil, “faut s’adapter”. S’adapter mais pas forcément tout accepter ! Car s’il utilise avec plaisir Internet et les moyens de visio-communication, comme en ce Noël 2020 si particulier, il refuse la sur-consommation et préfère le réparable au jetable.

Ce n’est pas dans ma nature de me laisser faire

Cette approche de la vie, il la relie aussi à un autre trait de sa personnalité : son sens de l’organisation et de l’anticipation. Toute sa vie professionnelle, il a eu à gérer des projets complexes qui exigent autant de capacité d’adaptation que d’anticipation. Des expériences qui constituent des maillons forts de son identité, sources de valorisation et d’estime de soi. Des centaines de personnes à superviser, des projets aux enjeux faramineux. Cela ne l’a pas quitté. Il planifie, anticipe pour mieux faire face.
C’est dans cet esprit qu’en début de retraite, il avait fait réaliser des aménagements chez lui, notamment de sa salle de bain. Suite à une opération du col du fémur, il avait bien identifié qu’un logement adapté était un point important.

Devenir l’aidant de sa femme : entre rupture et continuité

Son expérience d'aidant familial ne s’inscrit donc pas en rupture avec ce qu’il est et sa vie passée. C’est du moins comme cela qu’il donne sens à ce nouveau rôle qu’il aborde comme il a abordé la plupart des événements dans sa vie. C’est la continuité de ce qu’il a toujours fait : faire face, s’adapter, prévoir, gérer, organiser. C’est d’ailleurs un homme toujours très actif. Certes, il a dû réduire dernièrement l’étendue de ses activités, notamment la pêche qu’il jugeait désormais trop dangereuse. Néanmoins, pour le reste, rien ne change vraiment, il fait avec !
 

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