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Alzheimer : qui est le moins sensé des deux ?

par Véronique Cayado

Docteure en psychologie, membre de l'Institut Oui Care

Le 7 juin 2022

3 min de lecture

Alzheimer : qui est le moins sensé des deux ?


Devenir “oublié”, ne plus être reconnu est l’épreuve des intimes. Oublié et savoir que l’on a oublié - car cette conscience se manifeste à des stades avancés de la maladie - est le drame individuel qui se vit en silence. Du moins peut-on l’imaginer car que sait-on vraiment de ce que vivent les personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer ? Si peu de choses qui ne soient des connaissances et tellement d’autres qui relèvent du préjugé.

La difficulté de communication, l’angoisse aussi que génère la maladie font qu’on peut avoir tendance à approcher les personnes présentant un stade avancé de démence comme des êtres à part, des “pas comme nous”. C’est vrai qu’ils le sont en partie. Comment pourrait-il en être autrement puisque le cerveau ne fonctionne plus correctement, et le cerveau contrôle tout ! Non ?

Un changement de logiciel

Finalement, la maladie d’Alzheimer pose des questions métaphysiques dont il revient à chacun de tenir son bout de vérité. Le cerveau humain reste encore une énigme pour la science. Qu’est-ce qui fait de nous une personne à part entière avec ce petit supplément d’âme qui nous rend singulier ? Nos connexions neuronales ? Le fait de ressentir des émotions qui nous sont propres ?

La maladie d’Alzheimer ne prive pas la personne de ses sens. Le corps émotionnel, sensible, est bien vivant. La personne continue d’éprouver, de ressentir des émotions plaisantes ou non, des angoisses bien sûr, des préférences aussi. Elle reste sensible à ce qui l’entoure beaucoup plus que ce que l’on peut penser.

Sa différence ne se situe donc pas dans la substance de “l’être” en tant que tel mais plutôt dans un logiciel qui serait en panne ou déprogrammé. Ce qui fait qu’on peut se demander qui est le moins sensé des deux, entre celui qui prend les chemins de traverses aux limites de la folie et celui qui impose à ce dernier des schèmes de pensées hors de sa portée ?

Quand le plus insensé n’est pas ce que l’on croit

Imaginez un peu cette scène : une personne vous assied à une table, elle vous met une fourchette dans la main et vous dit de manger tout en retournant à ses occupations ; pas très agréable de manger ainsi avec une personne dans votre dos en train de faire vaisselle ou de ranger les courses. Si en plus vous ne voyez pas très bien ce qu’il y a dans votre assiette et que vous ne comprenez pas où vous êtes et qui est cette personne, la situation devient très complexe à gérer.
Mais imaginez maintenant que cette même personne, que vous ne reconnaissez toujours pas, vous assied à table et se met à manger avec vous : peut-être serez-vous plus enclin à l’imiter car son comportement sera adapté au but de l’activité et donnera sens à la situation.

Autre scène vécue : un aidant reproche à une personne atteinte par la maladie d’enlever volontairement sa protection urinaire “rien que pour l’embêter” ou “parce qu’elle n’arrive pas a accepter sa dégradation”. Cela l’irrite à tel point qu’elle en vient à utiliser des mots sévères voire brutaux envers la personne qui réagit à son tour violemment mais physiquement cette fois ; à la fatigue s’ajoute la tension et le stress qui épuisent chaque jour un peu plus.
Pourtant la question que l’on peut se poser est la suivante : l’analyse de départ de la situation par l’aidant est-elle bien adaptée à la situation de son proche ? Celui-ci interprète en effet ce comportement avec un logiciel qui n’est plus tout à fait celui de la personne qu’elle accompagne. En présupposant autrement , on se pose d’autres questions : peut-être que la personne ne se rappelle plus ses problèmes d'incontinence ou ne reconnaît tout simplement pas la chose posée dans son entrejambe qui la gêne pour se déplacer ?

Des exemples comme ceux-là, il y en a d’autres, comme cette personne qui n’écoute pas quand on lui dit que c’est la nuit et qu'il faut qu’elle retourne se coucher, alors qu’il y a de la lumière dans le couloir et que la personne qui lui dit cela est habillée comme de jour. Comment exiger d’elle qu’elle s’adapte à un cadre dont la logique lui échappe ?

Le plus absurde n’est-il pas finalement de continuer à fonctionner normalement ? Certes, il n’est pas évident de se mettre à la place d’une personne qui vit avec les symptômes de la maladie d'Alzheimer. On ne le peut d’ailleurs jamais vraiment parce que chaque vécu est singulier. Néanmoins, on peut essayer d'inhiber notre propre logique pour toucher - ne serait-ce que du doigt - ce que cela fait de ne quasiment rien reconnaître, de ne pas savoir que faire, et l’angoisse aussi que tout cela peut provoquer.


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