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Amour et protection : la recette du bien vieillir à la française

par Véronique Cayado

Le 12 février 2025

4 min de lecture

Amour et protection : la recette du bien vieillir à la française

Hélène vit dans un Ehpad depuis ses 82 ans. Elle dit ressentir des petits papillons dans le ventre. Cela se produit à certains moments, assez soudainement et de manière parfois très intense? D'où peut venir ce trouble ? Faut-il s'en inquiéter ?

Cela a de quoi surprendre, mais ces petits papillons n'ont rien à voir avec des troubles gastriques ou tout autre désordre métabolique. Non, c'est son corps qui manifeste les sentiments qu'elle nourrit à l'égard d'un homme, Pierre, qui habite le même établissement et dont elle chérit la présence à ses côtés et les douces caresses.

 

L'amour dans le vieil âge déroute à tel point qu'on ne sait si c'est parce qu'il nous paraît incompatible avec le vieillissement, ou parce qu'avec le temps et l'expérience de toute une vie, on s'étonne que la désilusion ne soit pas totale.

Les sentiments amoureux chez les vieilles personnes interpellent comme s'ils n'étaient pas à leur bonne place, comme s'ils n'avaient pas grand intérpêt pour une personne à l'âge avancé.

Mais que sait-on réellement des sentiments et des marques d'attention dont ont besoin les personnes âgées pour bien vivre ?

Nous avons voulu savoir quelle était la perception commune à ce sujet en interrogeant 1000 femmes et hommes représentatifs de la population française de 18 ans et plus (1) (enquête Institut Becoming - Lab Autonomia, janvier 2025).

Voici leurs réponses.

 

L'amour de ses enfants et de la famille avant tout !

 


 

Majoritairement, les français interrogés placent l'amour des enfants et de la famille au premier rang des sentiments qui comptent pour les personnes vieillissantes. Rien de vraiment surprenant à ce que l'amour des proches soit choisi en priorité. Il fait partie des essentiels que l'on retrouve aux autres âges de la vie.

Mais comment expliquer que, pour cette majorité de français, l'amour des enfants et de la famille soit jugé plus important que celui d'un partenaire ?

Bien qu'on ne puisse écarter un certain nombre d'autre interprétations possibles (2), ce premier choix des français dit quelque chose de nos représentations communes des besoins des personnes âgées. Si l'amour du partenaire est moins souvent considéré comme essentiel, c'est que les besoins affectifs et les sentiments amoureux sont perçus comme ayant moins leur place chez les plus âgés qu'aux autres périodes de l'existence.

On observe, d'ailleurs, que ce sont surtout les plus jeunes qui affichent une telle priorisation. À titre de comparaison, 56 % des "18-24 ans" placent "l'amour des enfants et de la famille" avant "l'amour d'un compagnon/compagne" ; alors que les "65 ans et plus" citent à parts égales l'amour du partenaire et l'amour des enfants et de la famile (38 % dans les deux cas). En d'autres termes, plus les français sont âgés, plus ils sont partagés sur le type d'amour qui compte le plus en vieillissant.

Quand on considère les sphères de sociabilité associées aux différents sentiments évoqués, les résultats montrent que plus on s'éloigne de la sphère personnelle pour aller vers la sphère sociétale, moins ces sphères de vie sont perçues comme importantes pour bien vivre. Là aussi, rien de très détonnant. Cela pourrait être le cas également à d'autres âges de la vie. Néanmoins, cela correspond aussi à une certaine vision du vieilllissement avancé caractérisé par une déprise et un retrait progressif vis-à-vis de la société. L'emploi du mot "retraite" pour désigner le statut social des personnes pagées est assez révélateur de cette conception.

 

Cette image du détachement a longtemps prévalu dans les sciences sociales. Ainsi, selon la théorie du désengagement (Cumming et Henry, 1961), il y aurait en vieillissant un phénomène naturel d'éloignement réciproque entre la personne âgée et la société, comme une sorte de séparation à l'amiable. La réduction des sphères de sociabilité et la centration sur l'aspect affectif des relations humaines seraien d'après cette théorie, non seulement tout à fait normales, mais aussi nécessaire pour bien vieillir.

Cette théorie du vieillissement a depuis été remise en question. On lui a notamment reproché son caractère trop restrictif, de ne pas prendre en compte la diversité des expériences de vieillesse, ou de négliger l'impact des facteurs culturels, économiques et sociaux.

La perception des français est donc plutôt en accord avec cette vision ancienne mais encore très ancrée d'un désengagement social qui serait naturel et nécessaire pour bien vieillir. On comprend finalement que la vie sociale soit perçue comme secondaire par rapport à l'aspect affectif des interactions humaines (3).

Ce qui est en revanche beaucoup plus surprenant, c'est de constater que la vie sociale des aînés est jugée moins importante que leur besoin de protection. Ainsi, selon notre échantillon de français, après l'amour des proches, le type d'attention dont ont le plus besoin les personnes âgées pour bien vivre est la protection et la sécurité ! Et cela donc, avant les relations amicales et sociales plus larges !

 

L'amour sous protection

 

 

C'est certainement un des résultats les plus marquants de notre enquête : 80 % des personnes interrogées pensent que les proches ou la société doivent protéger les personnes âgées, même si cela va à l'encontre de leur volonté ou de leurs préférences personnelles. Parmi ces 80 %, près d'un sur deux le pensent même tout à fait.

On note trois profils avec un avis légèrement plus modéré sur le sujet : les personnes plus âgées, celles de CSP supérieures, et celles habitant seules (respectivement 74 %, 71 % et 76 %). Il est probable que pour elles, le respect de leur autonomie représente un enjeu plus palpable, voire une valeur plus inconditionnelle.

Protection versus Autonomie - Sécurité versus Liberté. Ces tensions aux fondements de notre système démocratique se retrouvent à tous les niveaux de la société, jusqu'au mouvement de démocratie en santé. Mais rapporté aux personnes âgées, c'est comme si cette tension s'effaçait sous l'effet d'un double préjugement.

  • La première forme de préjugement renvoie à une suspicion d'incapacité très prégnante à l'égard des plus âgés. Leur entendement est suspecté de dysfonctionner à la moindre anicroche, à la moindre maladresse. Ce préjugé est d'autant plu fort que l'association entre vieillissement et déclin cognitf est très ancrée dans nos psychés. Nous avons donc tendance à juger prématurément des capacités de discernement des personnes âgées en lien avec nos stéréotypes de déclin. Ces jugements prématurés sont alors autant de projections incapacitantes qui justifient aux yeux de la majorité des français que l'on puisse passer outre la volonté et les préférences personnelles des aînés. Cela peut être nécessaire puisqu'il existe un doute valable quant à leur bien fondé.

 

  • La seconde forme de préjugement concerne la tendance hygiéniste à dévaluer les besoins psychologiques, affectifs, sociaux et identitaires des plus âgés, au profit de leurs besoins primaires. De sorte, le devoir de protection de l'intégrité physique des personnes âgées revêt une importance considérable dans le rapport d'aidance.

En cela, ce résultat est révélateur d'une forme d'âgisme bienveillant, celui qui nous paraît tellement conforme à la morale qu'il passe sans problème l'auto-censure de la conscience. Cet âgisme bienveillant, ce sont toutes ces attitudes paternalistes, condescendantes et infantilisantes à l'égard des personnes plus âgées qui les placent su souvent en position de citoyens de seconde zone.

 

Un univers des possibles qui se veut inclusif

 


 

Lorsqu'on demande aux gens les expériences réalisables par les plus âgés, il ne semble pas exister de limites à l'univers des possibles en vieillissant. Les résultats montrent ainsi un consensus marqué sur le fait que les personnes âgées peuvent encore faire beaucoup de choses. On est loin ici de l'image de la vieillesse "déclin", de l'état de dépendance à la charge du collectif. Le contraste avec les résultats précédents est saisissant. Saisissant mais compréhensible. Il existe des représentations contraires de l'avancée en âge qui cohabitent dans un même espace social. Ainsi, entre l'image du senior actif et bien portant et celle du vieu dément dépendant, il y a un grand écart qui laisse de la place à la complexité de nos représentations. Cela étant dit, il existe aussi une forme d'auto-censure à décrier ouvertement les capacités d'action des plus vieux, qui se rapprocherait du biais de désirabilité sociale. Cela, aussi, pourrait expliquer le contraste de ces chiffres avec les autres résultats de l'enquête.

Parmi les réalisations encore possibles pour les personnes âgées, le fait de "transmettre ses connaissances et ses expériences" est la variable qui fait le plus consensus (72 % de "tout à fait d'accord"). On retrouve là le rôle traditionnel des anciens, mais avec un léger décalage selon l'âge des répondants. On note, ainsi, 76 % de "tout à fait d'accord" pour les "65 ans et plus" (et 100 % d'accord au global), contre 61 % pour les "18-24 ans". Bien que plus légère, cette différence tendrait à montrer que ce rôle traditionnel serait plus important pour les vieux que pour les plus jeunes personnes. Un décalage d'attentes qui mériterait d'être davantage étudié.

 

 

(1) La méthodologie de sondage employée via des questionnaires en ligne ne permet pas d'obtenir une réelle représentativité de la population des plus âgés en France. L'objectif de cette enquête était donc plus de questionner la représentation commune et les préjugés à l'égard des besoins des individus vieillissants, que de recueillir précisément le point de vue de ces derniers. Non pas que cette visée soit secondaire, elle est au contraire tout à fait essentielle, mais elle en passe par d'autres méthode de recueil plus qualitatives.

(2) On peut notamment penser que l'emploi du terme famille a capté davantage l'attention des répondants en raison de sa portée générique, pouvant inclure dans une certaine mesure le couple. D'autre part, la possibilité de veuvage et de perte du conjoint "historique" étant nécessairement plus présente aux âges avancés, c'est une réalité qui potentiellement a influé sur le choix des répondants.

(3) Et pas que humaines, puisque l'amour de son animal de compagnie est perçu comme plus essentiel que la reconnaissance de sa place dans la vie de la cité.

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