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Prévenir la perte d’autonomie et lutter contre l’âgisme : même combat !

par Véronique Cayado

Le 6 février 2023

5 min de lecture

Prévenir la perte d’autonomie et lutter contre l’âgisme : même combat !

La santé dans le vieil âge, ce n’est pas simplement l’absence de maladie ou de déficience. C’est avant tout un état général de bien-être physique, mental et social [1].

On sait que le vieillissement aux âges les plus avancés est associé à un risque plus élevé de maladies et de déficiences de plus en plus invalidantes, qui bousculent les personnes dans leurs habitudes de vie et leur image d’elles-mêmes. Pour autant - et c’est au cœur de l’approche de la santé en termes de bien-être global - le fait de devoir vivre des situations de dépendance de plus en plus fréquentes et intenses n’est pas forcément synonyme de mal-être généralisé. Si la personne bénéficie d’un bon étayage socio-affectif, de soutiens suffisants pour compenser ses incapacités, et que son pouvoir d’agir sur sa vie est préservé au maximum, alors il est possible de retrouver un équilibre de vie satisfaisant. Vieillir en bonne santé ne relève donc pas exclusivement de préoccupations médicales, cela implique aussi une réflexion autour de la vision et de la place des aînés dans la société.


La décennie 2020-2030 proclamée par l’OMS décennie pour un vieillissement en bonne santé !

On meurt bien de quelque chose, une maladie, un organe qui flanche, un agent stresseur qui a raison de notre système immunitaire. Bref, à moins d’un accident, on ne meurt pas en bonne santé, ou si c’est le cas, la bonne santé n’est qu’apparente. Ce constat implacable nous pousse à voir le vieillissement et la bonne santé comme des mouvements naturellement contraires.

Cela peut être détonnant au regard de notre manière de concevoir l’avancée en âge, mais le vieillissement organique n’est pas seul responsable de l’état de santé à des âges avancés. Toutes les maladies ou accidents passés, et leurs séquelles plus ou moins visibles, ainsi que les modes de vie et comportements déployés tout au long de la vie vont interagir avec les effets habituels du vieillissement pour caractériser l’état de santé en vieillissant.

Cette vision plus large de la santé dans le vieil âge est cruciale, car si on ne peut empêcher le processus de vieillissement qui fait partie de la vie, on peut essayer d’agir sur les autres dimensions. On comprend aussi mieux l’intérêt de la prévention comme levier d’action pour faire face au vieillissement accéléré de la population française, et plus largement mondiale. Car davantage de personnes âgées - et notamment de personnes très âgées, de plus de 85 ans - c’est aussi, proportionnellement, plus de personnes âgées qui vivent avec des dépendances. La prévention pour un vieillissement en bonne santé devient alors un instrument de réduction des coûts associés à la prise en charge de la perte d’autonomie des aînés.

Bien qu’elle augmente statistiquement avec l’âge, la perte d’autonomie n’est pas la conséquence inéluctable du vieillissement. Par conséquent sa prévention est à la fois indispensable, compte tenu de l’évolution démographique attendue, et réalisable.” (Rapport de la Cour des Comptes, nov. 2021)

 

Vieillissement en bonne santé : le poids des représentations

Des pathologies cardio-vasculaires à la maladie d’Alzheimer, les modes de vie passés et présents sont parties prenantes dans la survenue de nombreux problèmes de santé. On pensera bien sûr à l’impact de la sédentarité, mais aussi au type d’alimentation. Pour y remédier, il est possible d’agir sur les comportements individuels, mais sans oublier que ceux-ci s’inscrivent dans un environnement matériel, économique et culturel particulier. Par exemple, une alimentation basée sur des produits hautement transformés génère plus de risques pour la santé, mais comment agir sur les comportements individuels quand la production alimentaire est basée sur un tel système ? Autrement dit, toute action de prévention individuelle implique une dimension collective et sociétale qui rend toute dynamique de changement plus complexe encore.

La prise en compte de l’environnement est donc essentielle, ce que nous rappelle l’OMS avec ses quatre domaines d’action pour un vieillissement en bonne santé :

  1. Changer notre façon de penser, les sentiments que nous éprouvons et la façon dont nous agissons face à l’âge et au vieillissement ;
  2. Veiller à ce que les communautés favorisent les capacités des personnes âgées ;
  3. Mettre en place des soins intégrés et des services de santé primaires centrés sur la personne qui répondent aux besoins des personnes âgées ;
  4. Offrir aux personnes âgées qui en ont besoin un accès à des soins au long cours.

On notera avec intérêt la place accordée à la lutte contre l’âgisme comme un objectif transversal à ces quatre domaines d’action. Parce que notre façon de concevoir l’avancée en âge et la vieillesse via le prisme du déclin et de la décadence a des effets beaucoup plus importants sur la santé des aînés qu’on ne peut le penser, la lutte contre l’âgisme constitue désormais une priorité mondiale en matière de santé des personnes âgées !


Vous avez dit "âgisme” ?

L'âgisme est un terme inventé par un gériatre américain, Robert Butler, à la fin des années 60 pour désigner les jugements dévalorisants et les comportements discriminatoires à l'égard des plus vieux et qui imprègnent tous les niveaux de la société jusqu'au fonctionnement des institutions de soin.

Il a fallu du temps pour que le concept fasse son apparition en France sous l'impulsion de directives européennes relatives à l'emploi et à la lutte contre les inégalités. Début 2000 se développent des mesures législatives définissant l'âge comme un critère de discrimination passible de poursuites pénales dans un certain nombre de cas (emploi, accès au marché du travail, obtention d'un bien ou d'un service). Cette reconnaissance va alors participer à un changement de mentalité dans la société ; ce qui apparaissait avec l'évidence du naturel commence à être questionné et l'acceptabilité de certains comportements remis en question.

On arrive aujourd'hui à un autre niveau de prise de conscience sur l'âgisme. Jusqu'à maintenant, on considérait essentiellement l'enjeu des inégalités sociales, désormais on prend conscience que ce climat délétère influence aussi les expériences individuelles de vieillissement, et donc son propre “vieillir” en tant qu'individu.


Âgisme, santé et bientraitance

Quand on parle d'âgisme, on évoque tout un système de représentations et de croyances stéréotypées particulièrement dévalorisantes et disqualifiantes à l'égard des anciens, suffisamment puissantes pour orienter notre perception, notre analyse, notre compréhension des choses. Ces schémas de pensées toutes faîtes sont assimilés dès la petite enfance et tendent à se renforcer tout au long de la vie. Inévitablement, les manières de communiquer, d’interagir, les relations individuelles, comme les rapports sociaux plus institutionnalisés, sont imprégnés d'âgisme.

  • Considérer que la tristesse et le repli sur soi sont des tendances normales avec l’âge contribue au sous-diagnostic des symptômes dépressifs.
  • Penser qu’à partir d’un certain âge, les personnes ne disposent plus des capacités suffisantes pour faire les choix les plus appropriés pour elles, alimente les attitudes infantilisantes à leur égard.
  • Croire qu'en vieillissant on devient de plus en plus aigri et méchant contribue à ne pas chercher ailleurs les raisons d'une colère.

Bien évidemment les attitudes âgistes ne viennent pas que des autres. Nous sommes également porteurs de stéréotypes négatifs sur le vieillissement et selon l’histoire qui est la nôtre, ceux-ci sont plus ou moins présents à notre esprit. Des études ont pu montrer que les personnes qui affichaient aux alentours de 50 ans une vision plus négative du vieillissement présentaient au cours des deux décennies suivantes une moins bonne santé fonctionnelle et une espérance de vie inférieure de 7 ans et demi [2]. Comment cela est-il possible ? Plusieurs explications sont avancées par les chercheurs. Le fait, par exemple, de penser que le déclin des capacités et les maladies sont une conséquence inévitable du vieillissement conduirait à décourager les pratiques préventives et à alimenter un sentiment d’impuissance face aux problèmes de santé, expliquant par là-même que l’on mobilise moins de ressources pour y faire face.

« Un regard positif sur le vieillissement a un impact plus grand sur notre santé que l’exercice physique, le tabagisme ou le surpoids », André Alema, neuropsychiatre [3]


Notre manière d’appréhender le vieillissement peut induire une baisse des performances avec l’âge, des capacités moins bien préservées, une baisse de l’estime de soi, le développement d’états dépressifs, et même un risque plus élevé de suicide. Tout ceci constitue des données de plus en plus documentées dans les travaux gérontologiques. L’âgisme a donc des effets négatifs en termes de bien-être physique, mental et social, ce qui est la définition même de la santé. Plus encore, le rôle de l'âgisme dans les faits de maltraitance à l'égard des aînés est jugé tout à fait primordial par l'OMS qui fait désormais de la lutte contre l'âgisme un des trois moyens de prévention de la maltraitance.

La lutte contre l’âgisme n’est donc pas un “a-côté” des programmes de vieillissement en bonne santé, il constitue un enjeu majeur à la fois sur le plan médical et sur le plan de la bientraitance et du respect des droits fondamentaux.

 



[1] Constitution de 1946 de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)
[2] Cf. les travaux de Becca Levy et sa théorie sur l’incorporation des stéréotypes liés à l’âge.
[3] Aleman, A. (2014). Le bel âge du cerveau. Editions Autrement, Paris.
 

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